Implicites et relations amoureuses
Comme beaucoup de personnes neuroatypiques, comprendre les implicites sociaux me demande un certain effort. J’ai du mal à saisir l’implicite, à savoir comment me comporter : Est-ce que je dois faire la bise à cette personne ? Est-ce que je peux lui dire bonjour de loin sans la toucher ? Est-ce que je peux lui serrer la main ou est-ce que ça va être jugé trop froid ? Je me trouve souvent en difficulté dans les situations sociales, malgré une observation de ces situation, qui m’a permis d’en tirer certaines règles et certains principes. Je dois observer attentivement les réactions des gens, afin de déterminer si mon attitude est en train de provoquer un malaise, ou non. L’anxiété est aussi un élément qui ne m’aide pas à prendre des initiatives au niveau de ces interactions: Je préfère suivre, sinon j’ai trop peur de me planter. Je me suis plutôt bien adapté, mais les relations sociales sont épuisantes pour moi : comme tout le monde, j’ai un champ attentionnel limité, or je suis obligé d’en consacrer une grande partie à la compréhension des implicites.
Mon schéma en rapport aux implicites peut donc être résumé de la manière suivante:
- imitation (de la personne avec qui j’interagis, ou d’une personne se trouvant dans une situation similaire) ;
- effacement de mes propres impulsions (ex: j’aimerais serrer la main d’une personne pour lui dire bonjour, ou lui faire un câlin pour lui dire au revoir, mais cela ne correspond pas à la norme) ;
- intellectualisation des interactions ;
- culpabilité et honte associées à une “erreur” ;
- interactions basées sur le fait de ne pas refuser une interaction, pour ne pas blesser l’autre.
Comment être soi-même quand on part de ces bases? Dans le monde professionnel, ce n’est pas un gros problème, ne pas vraiment être moi-même est rassurant. Dans une relation amicale, je n’ai généralement pas de souci, même si cela me prend du temps pour être moi-même. Mais dans une relation romantique ?
Les normes qui entourent les relations romantiques, pour moi, sont un calvaire. C’est un cercle vicieux : Peu d’expériences dans ce type de relations, veut dire peu de compréhension des normes, peur d’être à côté de la plaque, et en retour, échecs relationnels en tous genres, retour à la case départ… Je n’ai pas souffert de ne jamais avoir été en couple, mais j’ai souffert du manque d’intimité. Or, dans notre société, l’un ne va pas sans l’autre ; lae “partenaire” est censé·e pourvoir à tous nos besoins affectifs, de sorte d’ailleurs qu’on n’ait pas besoin “d’aller voir ailleurs”.
Les relations romantiques ne m’intéressent plus, je ne veux que des amis.
Implicites, consentement et monde neurotypique
Les implicites sociaux sont en contradiction constante avec le consentement. Cela peut donc ne pas vous sembler révoltant, si vous avez intériorisé ces implicites et qu’ils s’accordent avec vos impulsions.
Le problème semble plus évident lorsque cette logique est transposée à d’autres interactions : Si vous acceptez un acte sexuel sur base des critères cités ci-dessus, l’absence de consentement semble évidente et problématique. Quand vous vous concentrez sur ce que vous êtes censé·e faire, comment se concentrer sur ce qu’on veut ? Comment avoir le sentiment que votre corps vous appartienne, si vous oubliez vos propres désirs et refus?
Voilà comment le monde neurotypique nous amène vers la dépossession de nos corps. Ce monde n’est pas fait pour nous, nous devons en construire un nouveau.
La première fois qu’on ma dit “Salut, tu préfères qu’on se salue comment? La bise? Un hug?” C’était une révélation pour moi. Je n’ai pas su directement ce que je préférais, et la question est évidemment anxiogène, puisqu’elle m’oblige à faire un pas hors de mes schémas. D’un autre côté, elle est rassurante si je me sens à l’aise dans la situation et avec la personne. Et de fait, le concept de consentement m’avait toujours paru anxiogène, puisqu’il implique de la vulnérabilité, de percer l’hypocrisie de la plupart des relations sociales, de dire ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas, et refuser de suivre aveuglément les implicites. Pour cela, il faut de la confiance, en soi, en l’autre, en les autres. Ce qui n’est pas des masses évident.
Aller à l’encontre des implicites relationnels, c’est une question de consentement. Cela demande de :
- ne pas supposer, demander
- ne pas attendre le problème relationnel pour communiquer
- être à l’écoute de ses propres émotions et sentiments
- ne pas juger
- être à l’écoute de l’autre
- travailler ensemble sur la relation et les difficultés de chacun·e
Et ce sont ces principes qui m’ont amené à l’anarchie relationnelle. Plus précisément, ma sensibilité anarchiste m’a certainement mené à l’anarchie relationnelle, car en tant qu’anarchiste l’idée de hiérarchiser mes relations, sous prétexte qu’avec untel on est “en couple”, qu’avec tel autre on est “meilleurs amis” me dégoûte, mais ma neuroatypie pèse au final, lourd dans la balance. Certaines personnes trouvent ce mode relationnel trop complexe. Cependant, en ce qui me concerne, il est beaucoup plus simple que de devoir comprendre comment je suis sensé hiérarchiser mes relations, ce dont je suis sensé parler ou non, quels actes je dois poser avec telle personne, le tout sans explicitation, sans communication.
L’anarchisme passe par la construction de notre propre monde, nos propres communautés basées sur nos propres consensus.
L’anarchie relationnelle est un moyen de cette construction.